Archives du mois : janvier 2017


La supervision en Chine, suite

Bonjour,

Suite à mon annonce du 6 janvier, intitulée : « Information : la supervision en Chine, quelques éléments » j’ai eu de nombreuses questions sur ce qu’est la Théorie de l’Esprit et sur mon hypothèse qui était formulée ainsi :

« Mon hypothèse, à vérifier, est que les Chinois utilisent plus la Théorie de l’Esprit (Baron-Cohen, 1985) que l’empathie dans le coaching et la supervision. Ceci serait en lien avec une orientation culturelle plus collective (Hofstede, 1991) et avec les recherches récentes de Woolley (2010) et Engel (2014) sur l’intelligence collective. Ces dernières mettent en effet en évidence le rôle particulier de l’intelligence relationnelle dans l’intelligence collective. »

Il est vrai que les formations de coachs ne font pas grand cas de la Théorie de l’Esprit, la notion d’empathie y étant souvent survalorisée. Sa définition est la suivante : « La théorie de l’Esprit est une capacité qui fait référence au processus permettant d’adopter le point de vue d’autrui sans confusion avec soi-même. Elle permet de comprendre et prédire les comportements des autres, de distinguer réalité et apparence (faux self) et de choisir l’interaction sociale la plus appropriée ».

L’empathie est de son côté définie comme : « L’empathie est la capacité à ressentir et à comprendre ce que ressent autrui sans confusion avec soi-même ».

Les deux sont en nous mais pas dans la même proportion pour chacun d’entre nous. Certains d’entre nous sont plus « empathiques ». Egalement, les zones du cerveau qui sont mobilisées sont différentes : Cortex préfrontal médian, pôles temporaux, sulcus temporal supérieur et jonction temporo-pariétale pour la théorie de l’esprit, tandis que l’empathie mobilise le cortex cingulaire antérieur, l’insula antérieure et le cortex somatosensoriel secondaire.

 

Mais revenons aux Chinois. Afin d’éclairer l’hypothèse je me suis penché sur la littérature scientifique existante. Une recherche du Docteur Jiening Ruan sur trois populations d’enfants (monolingue Chinois, monolingue Anglais et bilingues Chinois-Anglais) fait ressortir que les bilingues sont beaucoup plus performants que les monolingues en termes d’utilisation de leur Théorie de l’Esprit.

Il n’est donc pas étonnant que m’adressant en Anglais à des superviseurs Chinois bilingues (ils le sont tous, je crois) j’ai pu ressentir qu’ils mobilisaient plus leur Théorie de l’Esprit.

Le lien avec une orientation culturelle plus collective participe sans doute au phénomène. Dans quelle proportion ? je n’en sais rien car je n’ai trouvé aucune référence sur le sujet.

J’espère que ceci répond à vos questionnements.

Belle journée à tous

Michel Moral


La supervision en Chine, quelques éléments

Bonjour,

Un récent séjour en Chine a été l’occasion de rencontrer plusieurs superviseurs Chinois et de commencer à examiner comment est pratiquée la supervision des coachs dans ce pays.

La supervision est peu connue en chine. CSA et Bath, deux écoles anglaises ayant toutes les deux le label ESQA de l’EMCC, ont formé en tout une trentaine de superviseurs de coachs en Chine et à Singapour. Par ailleurs, le livre de référence de Peter Hawkins a été traduit en chinois et connais un certain succès. Enfin David Clutterbuck (EMCC Ambassador) et inventeur du processus « 7 conversations » en supervision des coachs hante les colloques de coachs en Asie.

Il apparait clairement des différences flagrantes tenant au fait que la supervision en Asie n’a pas pour racines celle des psychanalystes et des psychothérapeutes comme ici. En Chine ce serait plutôt la Médecine Traditionnelle Chinoise et le Confucianisme qui sont évoqués en arrière-plan de la pratique.

Le fait que les superviseurs soient marqués par leur culture n’est pas une surprise et a d’ailleurs fait l’objet d’un article de Karyn Prentice (2014) qui a analysé les différences entre les stagiaires de CSA de différentes nationalités.

A ce sujet, l’an dernier, Lors du colloque international sur la supervision à Oxford Brookes, Jackie Arnold (CSA) a expliqué ses difficultés à former des superviseurs Chinois. Ses stagiaires la trouvaient un peu « sous développée  » dans les champs de l’interpersonnel et du systémique, et un peu compliquée dans celui de l’intrapersonnel (En Asie Psyché et Soma ne sont pas différentiés comme dans le monde Judéo-Chrétien, ce sont des cultures monistes et non dualistes. L’intrapsychique est donc une notion mystérieuse pour les asiatiques. C’est la raison pour laquelle l’EMCC, dans les guidelines, a préféré « intrapersonnel », plus général que « intrapsychique » qui est connoté « psychodynamique »).

Mon hypothèse, à vérifier, est que les Chinois utilisent plus la Théorie de l’Esprit (Baron-Cohen, 1985) que l’empathie dans le coaching et la supervision. Ceci serait en lien avec une orientation culturelle plus collective (Hofstede, 1991) et avec les recherches récentes de Woolley (2010) et Engel (2014) sur l’intelligence collective. Ces dernières mettent en effet en évidence le rôle particulier de l’intelligence relationnelle dans l’intelligence collective.

On peut noter d’autres différences importantes en supervision entre Chinois et Français que les interculturalistes et anthropologues (en particulier Harro von Senger, 2001) ont étudié. En particulier la prévalence du sentiment de honte (issu du conflit entre Moi et Idéal du Moi pour nous) par rapport au sentiment de culpabilité (issu du conflit entre Surmoi et Moi pour nous). Par ailleurs, Michael Bond (2010) a vraiment bien documenté la dominance de la Vertu par rapport à la Vérité qui est notre obsession d’occidental.

Dans la pratique de la supervision des superviseurs avec qui j’ai parlé, la fonction « développement » correspond bien à la philosophie asiatique et prend une grande place. Dans la fonction « Support » il y a probablement plus de contrôle que de soutien car la culture est plus hiérarchique, mais c’est à vérifier. Enfin, pour ce qui concerne la fonction « favoriser les pratiques professionnelles », le plus grand soin y est mis car le professionnalisme est une grande vertu en Chine.

En dernier lieu, le coaching et son environnement en Asie sont fortement marqué par la façon de voir d’ICF qui a longtemps poussé le « mentor coaching » plutôt que la supervision. Celui-ci ne retient que la partie « développement » de la supervision et cela au service du chemin vers l’accréditation (« certification » dans le vocabulaire ICF). Mais les choses changent car, par exemple, Magda Mook (Directrice des Opérations ICF) a vivement poussé la supervision lors du colloque ICF de l’Australasie en octobre à Sydney.

Nous aurons l’occasion de pousser beaucoup plus loin cette investigation lors du colloque de l’APAC (Asia Pacific Alliance of Coaches) à Bangkok en mai.

Je pense en effet que nous avons beaucoup à apprendre là-bas, en termes de posture, de techniques et de méthodes. Il faudra pour cela entrer dans un monde intérieur différent et le comprendre à défaut de le sentir vraiment. Beaucoup d’humilité à développer donc.
Bonne journée
Michel Moral
Coach (EIA Master), superviseur (ESIA) et formateur de superviseurs (ESQA).
Formateur CTT 1&2 (Cultural Transformation Tools)