Archives du mois : janvier 2018


Supervision des coachs – superviser le coaching de l’intelligence collective

Bonjour,

De plus en plus de missions de coachings d’équipe ou d’organisation visent à permettre aux équipes clientes d’aller vers l’intelligence collective.

Avec le temps, je me rends compte que la supervision de ces missions passe par des techniques particulières.

L’intelligence collective

Nombreux sont ceux qui en parlent mais les définitions données sont extrêmement variables selon les auteurs. La notre, avec Florence Lamy, est : « C’est ce qui permet à l’équipe d’avoir à la fois performance, bien-être et harmonie » (*).

Reste la question de la nature véritable de l’IC sur laquelle les auteurs ont des positions divergentes. Par exemple, je propose le petit exercice suivant aux stagiaires de la formation universitaire de Cergy-Pontoise sur l’IC : « Indiquez la position des auteurs que vous connaissez sur un graphe dont l’axe horizontal est la proportion d’humain dans l’IC et l’axe vertical une nature continue ou quantique de l’IC ». Après plusieurs années le positionnement moyen des auteurs par les stagiaires se présente comme sur l’illustration de l’article.

Parmi tous les travaux sur l’IC j’ai beaucoup aimé ceux d’Anita Woolley (2010) et de David Engel (2014) qui ont mené des recherches quantitatives sur l’IC. Leur définition de l’IC est : « C’est ce qui permet à l’équipe d’atteindre une haute performance pour des taches variées ».

Ils ont étudié des dizaines d’équipes travaillant en face à face ou à distance, et montré le rôle clef de l’intelligence relationnelle et de la Théorie de l’Esprit dans l’IC.

La supervision des « missions IC »

Les équipes de coachs qui accompagnent des équipes clientes vers l’IC ont chacune, selon leur formation sur le sujet, leur propre idée sur ce qu’est l’IC et donc sur l’état désiré.

En tant que superviseur nous devons surtout nous garder de nous laisser embarquer par nos convictions sur le sujet. En effet, outre la variété des théories, il faut prendre en compte que les équipes clientes (que nous ne connaissons pas) ont leurs propres caractéristiques culturelles qui font que l’IC n’a pas la même saveur pour chacune : une équipe de Google ne verra pas l’IC comme la verrait une équipe du Ministère des Finances. En outre, les finalités de l’équipe sont très variables entre une équipe de chercheurs, une équipe travaillant dans un satellite habité ou une équipe de foot. Trouver, assurer la sécurité à 100% ou gagner ne vont pas conduire à la même forme d’IC.

Cela étant établi, pour nous superviseurs la détection des manifestations du reflet systémique (processus parallèle) reste au cœur de ce type de supervision. On distingue :

– Le reflet systémique montant (ou « amont ») : l’équipe de coachs va reproduire et symboliser certains des fonctionnements actuels de l’équipe cliente. La recherche de Margery Doerhman (1976) (**) indique que le reflet systémique monte dans 100% des cas (**).

– Le reflet systémique descendant (ou « aval ») : l’équipe cliente reproduira les fonctionnements de l’équipe de coachs. La recherche de Margery Doerhman (1976) (**) indique que le reflet systémique descend dans seulement une partie des cas.

Les reflets systémiques montants sont un des fondements de toute supervision des coachs : ils renseignent sur l’état de l’équipe client.

C’est dans la recherche de reflets systémiques descendants que tout se joue au cours de la supervision des « missions IC » : l’équipe peut s’autosatisfaire d’un mode de fonctionnement qualifié d’intelligent que le superviseur va trouver « banal » ou « génial » selon ses propres conceptions sur l’IC et/ou sa propre expérience. Le superviseur pourra avoir la tentation de se mettre en position haute ou basse alors que c’est justement là que la métacommunication et la co-construction en parité sont importantes.

Ce sont des thèmes dont il est question en supervision de superviseur. Par ailleurs, une recherche récemment soutenue à l’Université Oxford-Brookes sur le développement des superviseurs expérimentés effleure aussi le sujet. La communauté internationale des superviseurs de coachs commence à s’y intéresser et nul doute que nous verrons des progrès d’ici peu.

Belle semaine

Michel Moral

Formateur de superviseurs de coachs avec Florence Lamy (qui a obtenu le 2017 Supervision Award de l’EMCC)  

(*) Dans notre livre « Les outils de l’intelligence collective » publié en 2013, notre définition n’incluait que performance et bien-être.

(**) Doehrman Margery (1976) Parallel process in supervision and psychotherapy. Bulletin of the Menninger Clinic, 40(1), 9‑104.


Supervision des coachs – Diverses formes de supervision entre pairs

Bonjour,

Dans l’article du 15 octobre 2017 (« Le modèle Hollandais ») j’évoquais l’intervision entre coachs telle que pratiquée aux Pays Bas.

En fait, des méthodes similaires se développent dans différents pays, en particulier en Grande Bretagne ou en Asie. Les retours d’expérience ainsi que les recherches permettent d’établir un panorama des différents modes de fonctionnement et de leur efficacité.

Faisons un petit survol.

La supervision des coachs

Juste pour mémoire, revenons sur la supervision des coachs. Beaucoup pensent que ce champ est flou. Mais, si nous lisons les définitions données par les deux principales fédérations de coachs en Europe, elles sont très similaires :

EMCC : « La supervision est le processus interactif entre un mentor ou un coach, qui partage ses expériences de coaching ou de mentorat avec un superviseur afin d’être conseillé et de nouer un dialogue propice à la réflexion et à l’apprentissage collaboratif, pour le plus grand bénéfice du mentor ou du coach, de ses clients et organisations. »

ICF : « La Supervision de coach est définie comme l’interaction qui se produit quand un coach rapporte périodiquement ses expériences de coaching auprès d’un superviseur de coaching afin d’engager un dialogue réflexif et un apprentissage collaboratif pour le développement et le bénéfice du coach et de ses clients. »

Au-delà de ces définitions, les principaux auteurs (Proctor, Hawkins, Bachkirova, etc..) délimitent trois fonctions pour la supervision des coachs :

  • Développement : Développer les compétences et aptitudes du coach,
  • Support : Offrir au coach un espace de support pour réfléchir aux expériences vécues au cours du travail avec les clients
  • Résolution : Favoriser des pratiques professionnelles de qualité conformes aux normes et à la déontologie.

Selon le niveau de développement des coachs le processus peut-être plus ou moins animé. Compte tenu de la très grande variété des processus possibles (plus de 100) il est peu formel.

Par ailleurs, la supervision suppose la présence d’un superviseur professionnel formé avec qui est passé un contrat commercial.

Lorsqu’il n’y a pas un superviseur professionnel avec qui est établi un contrat commercial, le processus est différent en termes de résultats et de responsabilités. Divers dispositifs ont ainsi été imaginés ici et là dans le monde.

Dispositifs de supervision entre pairs  

La supervision entre pairs (interindividuel ou groupes) est définie de plusieurs façons, voici celle donné dans les Standards du Coaching Australien (2011) :

« La supervision entre pairs est un espace d’apprentissage collaboratif entre praticiens du coaching et du mentoring qui n’ont pas de formation de superviseur. Deux coachs/mentors ou plus s’efforcent de s’entraider sur leur pratique en réfléchissant sur eux-mêmes ou sur des cas ».

Sur cette base, on peut distinguer :

Intervision

Comme nous l’avons vu dans un autre article il existe aux Pays Bas et en Suisse une forme de supervision entre pairs nommée Intervision. La définition donnée par les deux Hollandais Bellerson & Kohmann (2016) est :

« L’intervision est fondée sur l’idée que vous êtes est en fin de compte responsable de votre propre comportement. Vous apprenez à avoir un regard différent sur vous-même, sur ce que vous faites, et vous recherchez des voies d’amélioration. En Intervision vous prenez en charge votre développement professionnel, votre expertise, votre façon de travailler avec les autres et votre performance personnelle »

Le processus est donc proche d’une supervision qui utilise l’intelligence collective du groupe pour aider le demandeur à trouver ses propres solutions au problème qu’il pose. L’objectif est de satisfaire tous les besoins du demandeur.

 

L’ANSE a d’ailleurs mis au point un concept de « International Intervision Group » (IIE) qui ajoute une dimension internationale/interculturelle au concept.

Co-coaching, coaching de coach et buddy coaching

Ces deux approches n’utilisent pas la démarche de la supervision mais celle du coaching : Position basse du coach, analyse de la demande, détermination d’objectifs et d’indicateurs de succès, coaching lui-même dans une durée limitée, bilan.

Le coaching de coach est plutôt utilisé en mode résolution pour des questions relatives au développement commercial tandis que le co-coaching l’est plutôt pour le développement professionnel. Ils font souvent partie des méthodes utilisées en formation de coachs.

Le buddy coaching quant à lui est typique des organisations (cabinets de coachs ou coachs internes) où un coach débutant est « cornaqué » par un plus expérimenté. Cette approche tient beaucoup du mentoring.

L’analyse des pratiques (groupes)

Cette approche est inspirée de celle de Michael Balint (1957). L’objectif recherché est que chacun des supervisés ou pair prenne conscience de ses actions, avec une visée de développement et de support.

Le processus est animé et formel. Il consiste pour chaque participant à présenter une situation et la décortiquer en actions exécutées ou souhaitées ; puis pour chaque action énoncer les « vécus de l’action » et rechercher des pistes explicatives avec l’aide du groupe.

Intervision co-développementale (groupes)

Cette approche est inspirée de celle des Canadiens Claude Champagne et Adrien Payette qui a été diffusée en France par Anne Hoffner-Lesure et Dominique Delaunay (2011).

L’objectif est de satisfaire les besoins du demandeur en termes de résolution, la méthode se focalise sur le cas et a une visée de développement.

Le processus est animé et formel. Il se fait en six étapes : exposé, questions de clarification, formulation de la demande, consultation (questions, options, etc.), synthèse et plan d’action, récapitulation.

 

Mentor coaching

ICF définit le mentor coaching comme : « une relation de soutien professionnel visant à obtenir et mettre en évidence les niveaux de compétences de coaching, selon le niveau de certification souhaité par le coach. Le mentoring signifie, par ailleurs, que le mentoré est coaché par rapport à ses compétences en matière de coaching plutôt que sa pratique »

Il s’agit donc d’une approche centrée sur le développement uniquement, celui-ci étant entendu comme une progression du niveau de certification ou d’accréditation. Des questions comme « devenir coach d’équipe » sont normalement exclues de ce processus.

Conclusion

Toutes ces approches sont formalisées ou en passe de l’être et des synthèses comparatives détaillées seront très bientôt publiées au niveau international.

Bonne journée


Supervision des coachs : Systémique ? Vous avez bien dit systémique ?

Bonjour

Dans sa forme moderne la supervision des coachs s’intéresse à la fois à l’intrapersonnel (du superviseur, coach et de son client), à l’interpersonnel (entre superviseur et coach, entre coach et client, entre le client et ses interlocuteurs principaux) et aux systèmes (système du coach et du superviseur, systèmes du client). En arrière-plan, des fantasmes circulent, nourris par la distance entre les acteurs.

Chaque superviseur met plus ou moins de l’un ou de l’autre dans le cocktail de sa pratique. Compte tenu de l’enracinement de la supervision dans la psychothérapie, nombreux sont ceux qui accordent beaucoup d’importance à l’intrapsychique et y intègrent peu à peu les riches apports du cognitivisme, des neurosciences et de la physiologie. Très clairement, l’attention sur l’interpersonnel va croissant en supervision. Quant au systémique, une majorité de superviseurs pense qu’il joue un rôle essentiel.

Mais, entre les roues, le moteur ou le volant d’une voiture, quel est le plus important ? Cela dépend de l’idée que chacun se fait de la finalité d’une voiture : rouler, avancer, changer de direction ou bien autre chose de beaucoup plus ambitieux… à chacun de voir…

Le contexte, le monde ou le système ?

Dans le modèle « 7eyed » de Hawkins il est question de contexte tandis que dans le modèle « 3Wolds-4Territories » de Mike Murno Turner parle de monde. Chacun des deux auteurs clame qu’il faudrait plus de systémie dans la supervision des coachs, mais à quelle systémie pensent-ils ?

Avant de tenter une réponse à cette question, il nous faut faire un petit détour par la « culture pays ». Les interculturalistes (Steward & Bennett, 1991 ; Hampden-Turner & Trompenaars, 1998 ; Rhinesmith, 1993 ; Nisbett, 2003 ; Moral, 2004) s’accordent sur le fait que les différences culturelles pour ce qui concerne le mode de pensée se déclinent selon deux dimensions : Inductif-Déductif et Linéaire-Systémique. Les Américains seraient des « Inductifs-Linéaires » tandis que les Anglais seraient « Déductifs-Linéaires » selon Walker (2000). Tous deux seraient culturellement moins « systémiques » que nous, Français, qui serions « Déductifs-Systémiques » d’après le même auteur.

Cela pourrait expliquer le fait que les premiers livres en France sur le coaching d’équipe ont été Devillard (2000), Cardon (2003) et Giffard/Moral (2007), alors qu’en Grande Bretagne ils ont été Hackman/Wageman (2005), Thorton (2010) et Hawkins (2011). Donc un décalage d’environ cinq ans que l’on observe également dans les articles sur la supervision des coachs d’équipe et dans ceux sur le coaching d’organisation et la supervision du coaching d’organisation sur lesquels j’avais déjà publié en 2009 tandis que David Clutterbuck et Alison Hodge ont commencé à publier en 2014.

A noter qu’un écart inverse s’observe sur le sujet de la « Culture Coaching » où à ce jour dix ouvrages ont été publiés en langue Anglaise et en Français aucun. Il en est de même pour le thème de la culture d’entreprise : les Anglo-Saxons ont de l’avance. Cela peut sans doute s’expliquer par des différences sur d’autres dimensions culturelles.

Systémie, systémies ?

Si tout le monde parle de systémie ou de systémique, encore faudrait-il s’accorder sur celle dont on parle :

– La première systémique de Ludwig Von Bertallanfy avec la notion d’homéostasie illustrée par l’analogie avec les lapins et les renards dans une forêt, l’axiomatique de la communication et la notion de double lien.

– La seconde, introduite par Heinz von Foester (1970) où les éléments sont sensibles à leur propre état interne ce qui rend le système dépendant de son passé et son évolution imprévisible. Les grandes notions sont le feed-forward, la catastrophe, le chaos, l’effet papillon et la complexité.

– La troisième, initiée par Francisco Varéla (1993) avec des notions telles que l’énaction. Perception et conscience sont au centre de la troisième systémique.

Exemple :

Lucien supervise Annie qui évoque le fonctionnement des systèmes dans lequel travaille Roméo : le CoDir dont il est membre, la Division des ventes qu’il dirige, la compagnie, la concurrence, etc… Elle en parle comme si elle observait une fourmilière, de l’extérieur. Lucien lui demande quel impact le système qu’elle forme avec Roméo peut avoir sur ces différents systèmes. Etonnée, elle reconnait que le coaching de Roméo a un effet sur la gouvernance de l’entreprise, sur le fonctionnement de la Division des ventes… bref, à des degrés divers sur tous les systèmes.

Ce qui fait le succès des coachings d’Annie, c’est pour partie son sens de la répartie. Elle se reprend et demande à Lucien ce qu’il pense être l’impact du système qu’elle forme avec lui et le client… Cette co-réflexion permet d’identifier plusieurs petits « effets papillon ».

Alors ?

Au niveau international une grande recherche est en train de voir le jour avec pour objectif d’éclairer l’impact de la supervision sur le client et son système. Jusqu’ici les chercheurs ont buté sur l’obstacle car les corrélations sont nombreuses et entremêlées. Mais c’est avec des notions plus précises sur la systémie que nous pourrons progresser afin de recueillir auprès des praticiens des données détaillées. C’est à cela que nous travaillons dans un premier temps.

Belle journée à tous