Archives du mois : août 2015


Le vieil homme et la sauterelle

Swann Léo

Il était en Afrique un essaim de sauterelles,

Réputées pour leur voracité, leur rapidité et les destructions qu’elles engendraient.

Volant de village en village,

L’essaim ravageait, les champs, les récoltes et les réserves.

Les hommes avaient beau enterrer le grain, colmater les fissures des jarres,

Barricader leurs cases, rien ne leur était laissé par celui-ci.

Et lorsque résonnaient les milliers de claquements d’ailes s’éloignant,

Ils n’avaient plus que le sable et la terre sèche à irriguer de leurs larmes.

 

Il était aussi en Afrique un vieil homme,

Réputé pour sa sagesse, son dévouement et les solutions toujours subtiles qu’il imaginait.

Il avait, plusieurs fois sauvé son village des désastres :

De la famine, des guerres civiles et de quelques conflits internes.

Sa parole était respectée et ses avis souvent suivis.

Un soir, alors que son village venait d’être ravagé par l’essaim,

Il trouva au fond d’une jarre, jadis pleine et à présent vide,

Une sauterelle, laissée à la traine par ses congénères,

Le ventre alourdit par la nourriture elle ne pouvait plus s’envoler pour fuir.

L’homme approcha une main plus longue et large que l’insecte tout entier ;

Et l’enlevant à la vindicte populaire, le cacha dans son pagne.

 

Arrivé chez lui, une sobre case à l’écart des autres,

Il sortit la sauterelle de son vêtement et la déposa sur sa table,

Un simple rondin avec trois pieds,

Et s’accroupissant à la hauteur de son hôte, il entreprit de s’entretenir avec elle.

Il la questionna sur la raison de ces destructions,

Lui fit voir l’impossibilité des hommes et des sauterelles à cohabiter tant quelles dureraient.

Il lui montra à quel point l’insecte, seul, était faible, et combien précaire était sa situation,

Il l’interrogea sur ce qui motivait l’essaim,

Sur ce qui lui permettait d’abandonner les siens sur la route.

 

Il apprit beaucoup :

Que l’essaim ne pensait pas, qu’il ne s’organisait pas,

Que les sauterelles fonctionnaient comme une énorme volute de fumée, une tempête,

Que chacune suivait sa voisine, qui suivait sa voisine, et cherchait à se nourrir.

Alors le vieil homme lui parla d’organisation sociale,

D’agriculture et de sédentarité,

De conscience individuelle et d’intérêt collectif.

Il lui montra que chacune méritait d’être écoutée par l’essaim,

Qu’il devait suivre les meilleures initiatives,

Et s’inscrire dans la durée du monde qui l’hébergeait.

 

Puis, il offrit à la sauterelle de l’héberger le temps qu’elle digère,

Avant de la laisser rejoindre l’essaim pour répandre ce qu’elle avait appris.

Le lendemain, elle déploya ses ailes au premier rayon du Soleil,

Et retrouva son essaim avant midi.

Sa parole fit l’effet d’un tremblement de terre auprès des sauterelles,

Elle était si convaincue qu’elle en était convaincante,

Et une fois l’étincelle de la pensée allumée,

Il fallait peu de temps pour que celle-ci se mue en conscience complète.

Alors l’essaim ralentit son vol et pour la première fois se posa.

Il fut organisé des discussions publiques,

Il fut décidé des répartitions des tâches,

Et les sauterelles se mirent à cultiver.

 

En un mois la parole du vieil homme,

Volontairement ou non l’histoire ne le dit pas,

Eu raison de l’essaim tout entier.

Les pattes arrière puissantes des insectes n’étaient pas adaptées aux travaux des champs,

Les prises de décisions s’éternisaient dans la discussion,

Et la pensée empoisonnait la mobilité de l’essaim.

Le peu de ressource que la petite taille des sauterelles leur permettait d’accumuler

Ne leur permit pas de survivre assez pour voir advenir la première récolte.

 

La morale, puisqu’il en faut une, est simple : il faut se méfier des libérateurs, de leurs bonnes idées et des solutions innovantes ; non contents de parfois poursuivre leurs propres objectifs (aussi altruistes qu’ils soient), il leur arrive parfois de réduire à néant des formes plus adaptées et plus résilientes. Il faut aussi se souvenir que la conscience individuelle, ainsi que la pensée, bien souvent mène à la disparition des modèles d’organisation qui ont pu émerger. Ce n’est pas forcément un mal, mais ce n’est pas, semble-t-il, la panacée qu’on nous promettait.

 


Les enseignements de l’Est sur la supervision

Michel Moral

Mon mot du jour concerne l’Université d’été de l’ANSE qui a eu lieu à Zadar en Croatie du 17 au 21 aout avec un programme particulièrement riche. Une centaine de superviseurs de 18 pays y participaient.

C’est seulement la deuxième fois qu’un Français participe à un évènement de l’ANSE, la première était le colloque de Budapest les 24 et 25 Avril.

Il s’agit pourtant d’une association de superviseurs et de coachs forte de 8000 membres dans 22 pays (de l’est et du nord de l’Europe essentiellement et depuis peu en Espagne et Italie). Quatre jours pleins ont permis de passer d’une compréhension superficielle à de réels échanges préfigurant une coopération féconde. Les discussions avec les principaux responsables ont permis de saisir les dimensions humaines, les valeurs et les aspirations qui nourrissent cet ensemble d’associations locales coordonnées de façon très démocratique.

Contrairement aux associations de coachs Françaises ou Anglaises qui introduisent progressivement la supervision dans leur offre, l’ANSE est au départ une association de superviseurs des métiers de l’accompagnement (psychologues, psychothérapeutes, psys du travail, médiateurs, etc…) qui va vers le coaching et dont l’identité couvre désormaist les deux professions.

J’ai noté de grandes différences avec nos approches « de l’Ouest » :

  • La chaleur humaine. Le ressenti est totalement différent par rapport aux réunions de coachs ou de superviseurs en France, UK, etc… Peut-être les épreuves traversées (chute du communisme il y a 25 ans, guerres des Balkans, fin de l’hégémonie soviétique,…) ont contribué au rapprochement entre personnes et pays. Peut-être que le fait de couvrir les métiers de la souffrance confère plus d’humanité et moins de concours d’ego. Peut-être est-ce culturel, ces pays étant comme des huitres, dur à l’extérieur mais sensibles à l’intérieur…

 

  • Vision de la supervision. La supervision est clairement vue comme une profession qui demande une formation charpentée conclue par une évaluation et l’un des workshops était d’ailleurs consacré aux méthodes actuelles et futures pour évaluer les superviseurs. Les formations de superviseurs (120) ont le plus souvent un minimum de 300 à 350 heures de présence sur deux ans et vont dans certains pays jusqu’à trois années universitaires de niveau Master 2. Il faut toutefois tenir compte du fait que c’est souvent la première formation, avant même celle de coach, alors qu’à l’Ouest on devient coach avant, éventuellement, de devenir superviseur. La question de l’accréditation n’a pas été traitée au cours de ce séminaire.

 

  • Concepts. De façon très claire et explicite, la supervision porte beaucoup plus sur le complexe « contexte/système/organisation » que sur le complexe « intrapsychique/interpersonnel/alliances ». Bien entendu aucun des « 7 eyes » (Lamy & Moral, 2015, p.123-145) n’est exclu mais le cocktail est composé différemment. Cela se traduit par le fait que plusieurs des 23 compétences du référentiel ANSE/ECVision portent sur la compréhension et l’action sur les organisations, sur le pouvoir et sur le leadership, notions qui sont absentes des compétences de coaching l’ICF, l’AC ou l’EMCC et des compétences de superviseur de l’AC et de l’EMCC.

 

  • La diversité. La diversité est une valeur essentielle pour l’ANSE et 4 des 15 workshops y étaient consacrés. L’ANSE promeut en particulier le concept de Groupe d’Intervision International (IIG) qui doit assembler trois nationalités au minimum et permettre aux membres de se rencontrer deux fois par ans.

 

  • Le regard sur le monde. Les cinq plénières étaient consacrées à des bilans sur les recherches pragmatiques relatives à la pauvreté dans le monde, à l’austérité en Europe du Sud, au rôle du superviseur et du coach dans la société, aux tendances sociales et au rôle du politique. Par contre aucune donnée sur la démographie de l’ANSE n’est disponible. Notons qu’à l’inverse les « coachs de l’Ouest » sont pour leur part abreuvés de données sur ce qu’ils sont et sur leur marché par l’ICF, Ridler, Brasser, ICTP, etc.. mais peu sur le monde qui les entoure.

 

  • Le « care » ; La crise du « welfare » est abordée de front et les solutions politiques analysées sans fards. Le superviseur et le coach sont vus comme porteurs d’une mission de « care » sur le long terme. Cependant, les superviseurs et coachs doivent savoir rester à distance des idéologies tout comme le psychothérapeute et le coach doivent savoir analyser leur contre-transfert et non y céder. Il a beaucoup été question de politique examinée à l’aune de la science alors qu’à l’Ouest c’est un non-sujet.

 

  • Gouvernance. L’association ombrelle (ANSE) fournit plutôt des recommandations que des produits finis applicables uniformément dans tous les pays. Ainsi par exemple les 22 associations locales (OVD, DGSv, LVS, etc..) ont chacune leur propre définition de la supervision et des référentiels de compétences différents. L’argument est que les besoins et la culture étant différents, les professions sont différentes. Un grand chantier à venir est donc la reconnaissance mutuelle afin d’aboutir à une profession de superviseur plus uniforme et surtout reconnue partout en Europe.

L’ANSE a une stratégie et un plan d’action sur quatre ans qui sont disponibles sur le site. Les principaux éléments concernent :

  • A court terme, le plan vise à disséminer et promouvoir le référentiel des 23 compétences relatives au coaching et à la supervision publié en mars. A noter que quelques grandes sociétés internationales prévoient déjà de construire leur propre référentiel de coaching en puisant dans les 23 compétences de l’ANSE/ECVision. Cela renverse potentiellement le jeu actuel où les associations (ICF, AC et EMCC) promeuvent des accréditations prenant en compte l’expérience sur la base de leur propres référentiels de compétences (pour le coaching : 11 pour ICF, 12 pour l’AC et 8 pour l’EMCC).

 

  • A moyen terme (2016-2017) le plan comporte de nombreux éléments dont deux qui nous semblent particulièrement prometteurs : la création d’une carte professionnelle de superviseur valide dans tous les pays d’Europe, et un colloque pour les formateurs de superviseurs (environ 120 écoles dans les pays couverts par l’ANSE).

 

  • Enfin, à long terme le plan est de faire de la supervision une profession reconnue par l’UE.

Au niveau des techniques, on retrouve nombre d’outils classiques à l’Ouest (« 7 eyed », Cascade, « devils and Angels », etc..) mais beaucoup d’autres sont inconnus de notre côté du Rhin. Il en est de même pour les techniques de formation à la supervision. Il y a en particulier en Estonie, petit pays de 1,3 millions d’habitants, une formation de superviseurs tout à fait inspirante et dont nous allons nous inspirer (L’Estonie abrite une association de superviseurs de 63 membres, plus que l’AOCS et PSF réunis…).

Enfin, Nous avons pensé qu’il serait plus facile pour ceux que cela intéresse d’aller chercher les documents auxquels nous faisons allusion dans ce bulletin ou les précédents directement sur notre site. Cela concerne :

Les documents que l’ANSE nous a autorisé à diffuser, en particulier le référentiel des 23 compétences (« ECVision Competence Framework 032015 »)

  • Nos articles et recherches sur la supervision,
  • Certains articles scientifiques du domaine public cités dans nos précédents bulletins,
  • Des documents que d’autres auteurs nous ont autorisé à diffuser comme l’enquête mondiale de Peter Hawkins sur la supervision présentée à Oxford-Brookes le 11 juillet : il y a en particulier une analyse des prix pratiqués (slide 13 : « Patterns of payment for supervision »)

Ces documents sont disponibles ici

Belle fin d’été.